det_Confessions d'un jeune romancier by Umberto Eco

det_Confessions d'un jeune romancier by Umberto Eco

Auteur:Umberto Eco [Eco, Umberto]
La langue: fra
Format: epub
Tags: roman
Publié: 2011-01-15T00:00:00+00:00


Figure 4

Nous pouvons maintenant mieux comprendre comment nous pouvons nous investir émotionnellement dans le sort des habitants d’un monde fictionnel possible comme s’il s’agissait de personnes réelles. Ce n’est qu’en partie pour la même raison qui nous fait nous émouvoir d’une rêverie où meurt un être aimé, car dans ce cas, le mirage passé, nous revenons à notre vie de tous les jours et prenons conscience que nous n’avons pas à nous inquiéter. Mais que se passerait-il si nous vivions dans une rêverie ininterrompue ?

Pour être en permanence émotionnellement investis dans le sort des habitants d’un monde fictionnel possible, nous devons satisfaire à deux exigences : (1) vivre dans ce monde fictionnel possible comme si c’était une rêverie ininterrompue ; et (2) nous comporter comme si nous étions un des personnages.

Nous avons constaté que les personnages de fiction sont nés à l’intérieur du monde possible du récit et que, s’ils deviennent des entités fluctuantes et quand ils le deviennent, ils apparaissent dans d’autres récits ou appartiennent à une partition fluctuante. Nous avons aussi constaté que, selon un accord tacite auquel souscrit normalement tout lecteur de romans, nous faisons comme si nous prenions au sérieux ces mondes fictionnels possibles. Et il se peut qu’après notre entrée dans un monde narratif particulièrement absorbant et captivant, une stratégie textuelle provoque quelque chose de similaire à un raptus mystique ou à une hallucination, et que nous oubliions tout simplement que nous sommes entrés dans un monde qui n’est que possible.

Cela se produit surtout quand nous rencontrons un personnage dans sa partition originale ou dans un nouveau contexte spécialement séduisant ; mais comme ces personnages sont fluctuants, et, pour ainsi dire, vont et viennent dans et hors de notre esprit (comme les femmes du monde de J. Alfred Prufrock qui parlent de Michel-Ange), ils sont toujours prêts à nous fasciner et à nous faire croire qu’ils sont parmi nous.

Quant à la seconde exigence, pour peu que nous vivions dans un monde possible comme si c’était notre monde réel, nous pouvons être déconcertés de n’y être pas formellement « enregistrés ». Mais ce monde possible n’a rien à voir avec nous, et nous y évoluons comme si nous étions la balle perdue de Julien Sorel ; pourtant, notre investissement émotionnel nous conduit à prendre la personnalité de quelqu’un d’autre, d’une personne qui a le droit de vivre là. Ainsi nous identifions-nous avec un des personnages.

Quand nous nous réveillons d’une rêverie qui nous a fait imaginer la mort d’une personne chère, nous prenons conscience que cela n’était pas vrai ; et ce que nous considérons comme vrai, c’est l’affirmation : « Celui (celle) que j’aime est vivant(e) et se porte bien. » Au contraire, quand s’achève l’hallucination fictionnelle – quand nous cessons de faire comme si nous étions le personnage de fiction, parce que, pour reprendre les termes de Paul Valéry, « le vent se lève, il faut tenter de vivre » –, nous continuons de considérer comme vrai qu’Anna Karénine s’est suicidée, qu’Œdipe a tué son père et que Sherlock Holmes habite Baker Street.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.